Le 21 septembre dernier, Présence Protestante a diffusé un documentaire intitulé "Familles, une histoire protestante", en immersion au cœur des Associations Familiales Protestantes.
Depuis 150 ans les Associations Familiales Protestantes (AFP) réunissent celles et ceux qui croient que faire famille fait sens.
"Et Il [Jésus] répondit : Qui est ma mère, et qui sont mes frères ?" Évangile de Marc, chapitre 3
À chaque fois que je le lis ce verset, où Jésus paraît refuser d’accueillir sa mère et ses frères, il me fait froid dans le dos. Les accueille-t-il après ? Quel est son ton ? Son expression ? Il n’y a pas, hélas, de didascalies dans la Bible. Mais aux versets suivants, pour préciser ce qu’il veut dire, Jésus poursuit:
"Jetant les regards sur ceux qui étaient assis autour de lui, il dit : 'Voici ma mère et mes frères. Car, quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma sœur, et ma mère."
Être frère ou mère de Jésus, ne serait donc pas affaire de sang ou de lignée, mais d’écoute attentive... Jusque-là, tout va bien. Qui n’a pas envie d’écouter Jésus parler ? Même l’ancien président Nicolas Sarkozy souhaiterait, s’il le pouvait, dîner avec lui. Mais en creux, à celles et ceux qui étaient là, Jésus pose la question :
"Et vous, qui appelez-vous 'père', 'mère', 'frère' ou 'sœur' ?"
Or, vu sous cet angle, ses propos ressemblent à s’y méprendre à de la manipulation. "Celui qui n'est pas avec moi est contre moi", dira-t-il ailleurs. N’est-ce pas là des propos de gourou ? La parole de quelqu’un qui veut séparer ses disciples de leurs familles ? Qui veut les culpabiliser s’ils n’y parviennent pas ? Qui veut faire croire que votre amour pour celles et ceux avec qui vous avez grandi, qui vous ont aimé, choyé, protégé, que cet amour-là n’est pas le bon ?
Alors, oui, on a le droit de croire que Jésus abuse, que ses propos sont indignes de lui. Qu’ils sont un écart dans son éloge de l’amour. Mais on a le droit aussi d’interpréter ce qu’il dit d’une autre façon aussi. Ce thème du "sens de la famille" est souvent abordé par des cinéastes ou des artistes.
À mon âge, on pense, bien sûr à : Tu es de ma Famille, de Jean-Jacques Goldman, "celle que j’ai choisie, celle que je ressens", "bien plus que celle du sang" ou plus récemment à Vianney et sa chanson Beau Papa : "Y'a pas que les gènes / Qui font les familles / Des humains qui s'aiment / Suffisent".
Et la même année que Vianney, en 2020, à Fabien Marsaud alias Grand Corps Malade, qui, accompagné par la comédienne Leïla Bekhti, loue la famille, celle des proches : "Ils sont mes repères, mes bases, mes compliments, mes reproches Sans eux j'suis pas entière", puis poursuis un peu plus loin son slam par : "Et le sens de la famille, c'est aussi l'sens de l'amitié / Je peux t'présenter des frères et sœurs qui n'ont pas l'même sang".
Dimanche dernier, sur la ligne 4 du métro, en rentrant à la maison, seul dans mes écouteurs, dans le silence du monde muet tout autour, la main agrippée à la barre froide, ma playlist automatique est passée à cette chanson de Grand Corps Malade et Leïla Bekhti. Et j’ai pleuré.
Quelle ode magnifique à celles et ceux que l’on n’honore pas assez tellement ils, elles sont une évidence ! Quel hymne à celles et ceux avec qui on ose tout – les disputes, les chamailleries, les silences, les bisous, les câlins, les chaussettes trouées et le reste – ! J’ai toujours mal à ces paroles de Jésus.
Pourtant, la suite de l’Histoire nous montre bien que, loin de renier sa mère et ses frères, il a fait d’eux les grands témoins de son règne d’amour. Alors que puis-je comprendre de ses paroles pour moi, aujourd’hui ?
Si je mets mes yeux dans les orbites de Jésus et mon cœur dans le sien quand il les prononce, je vois tout autour une foule dépareillée de personnes assoiffées. Assoiffées de l’entendre, assoiffées de paix, de miracle, de rédemption, de pardon. Assoiffées d’être vues, d’être considérées, aimées par quelqu’un de plus grand, par un grand homme, un Rabbi, le Fils de Dieu, et pourtant si proche.
Et là, comme sur la ligne 4, je comprends que c’est cela que Jésus fait quand il dit ces mots d’apparence si dur : il permet à chacune et chacun de trouver sa place dans le monde, une place unique, préparée exprès, marquée d’une pierre blanche, tout près de Lui.
Et c’est tout le sens du documentaire de dimanche dernier : que vous soyez une petite fille polyhandicapée, un jeune en recherche de sens, ou d’emploi, de carrière, de destin, que vous soyez un vieil homme fatigué ou une migrante isolée, vous, nous, nous tous, le corps du Christ, nous ses yeux, nous ses mains, nous son cœur, par un geste, un mot, par une manucure soignée, une tarte aux pommes partagée, par un simple sourire de bienvenu au portail de l’école, nous avons notre place dans le monde, dans son monde, et cette place nous donner la possibilité de donner à notre tour une place à l’autre, qu’il soit de notre sang, ou pas.
Un documentaire de Jean-Luc Gadreau et Jean-Rodolphe Petit-Grimmer, diffusé le dimanche 21 septembre dernier sur Présence Protestante (France 2), de 9h30 à 10h et non pas à 10h. Disponible en replay sur YouTube et sur la page Facebook de Présence Protestante.
Christophe Zimmerlin, pour Présence Protestante